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J.C. Heudin - F. Le Diberder - S. Sikora - B. Andrieu - M. Schoenauer
Jean-Claude Heudin Imaginez un monde virtuel habité par des créatures numériques qui nous sembleraient aussi vivantes que vous et moi. Imaginez un monde virtuel aux graphismes et aux animations en trois dimensions réalistes, et doté de ses propres lois physiques et biologiques. Cet univers digital pourrait nous être familier, reproduisant certaines propriétés de notre réalité, ou bien nous étonner de par ses différences avec le monde qui nous entoure. Pendant des années, l'intelligence artificielle
(IA) a essayé de reproduire les capacités cognitives
de notre cerveau sur des ordinateurs. Les chercheurs de ce domaine
ont créé des "cerveaux artificiels", mais
les résultats n'ont jamais été à la hauteur
de leurs ambitions ou espérances. Une des raisons de cet échec
réside dans le fait que le cerveau est l'un des systèmes
parmi les plus complexes que nous connaissons. Même aujourd'hui,
malgré les progrès récents de la neurobiologie,
la compréhension de ce réseau composé de plusieurs
milliards de neurones reste encore très parcellaire. Une autre
raison importante est que le cerveau représente une partie
intégrante d'un individu enraciné dans son milieu. Comme
le reste de l'organisme, il est le résultat de plusieurs millions
d'années d'évolution. Un tel système complexe
évolutif ne peut donc être créé ex nihilo
indépendamment d'un organisme considéré comme
un tout. Du point de vue scientifique, les mondes virtuels soulèvent des questions fondamentales sur la complexité et la réalité. Dans l'univers réel, des particules élémentaires aux amas de galaxies, nous pouvons observer des phénomènes d'une grande complexité. Les recherches effectuées par les sciences traditionnelles, comme la physique et la biologie, ont montré que les composants de ces systèmes complexes pouvaient être simples. C'est maintenant un problème crucial de comprendre les principes universels qui donnent à un grand nombre d'agents en interaction la capacité de s'auto-organiser pour produire les structures ou les comportements que nous observons. Dans ce contexte, les mondes virtuels proposent une approche synthétique pour étudier ces phénomènes à tous les niveaux d'échelles. De ce fait, cette approche complète la démarche analytique par l'apport de nouveaux outils et méthodes. Ces dernières années, les termes "mondes virtuels" ont essentiellement été utilisés pour décrire les applications de la réalité virtuelle. Nous étendons ici le sens de ces termes à l'ensemble des expériences visant la synthèse de mondes numériques sur ordinateurs [2]. La création d'un univers artificiel semble être une tâche difficile si nous souhaitons créer un monde à la fois complet et réaliste. Une telle discipline doit bénéficier des avancées récentes de nombreuses technologies : infographie en trois dimension et réalité virtuelle, simulation des systèmes physiques, vie artificielle et évolution artificielle, programmation orientée-objet et nouvelles architectures informatiques, pour ne citer que les plus évidentes. Comme nous l'avons souligné, l'approche scientifique des mondes virtuels tente de comprendre l'évolution du simple vers le complexe par une approche synthétique. Elle représente une sorte de microscope ou de télescope qui nous permet de voir ce qui sinon ne pourrait être vu. L'art y trouve sa place comme un contrepoids et un complément, de telle manière qu'ensemble, ils complètent le processus de découverte. En effet, tout scientifique souhaitant comprendre ou expliquer la complexité doit créer un nouveau vocabulaire, souvent visuel, pour le faire. C'est un processus qui relève autant de l'imagination et de l'esthétique que de la rigueur et du rationnel. C'est la première raison qui justifie une collaboration étroite avec des artistes. La seconde réside dans le fait que les mondes virtuels représentent une forme d'expression artistique prometteuse. Lorsque nous parlons d'art, nous pensons généralement à un objet physique, comme un tableau ou une sculpture. Néanmoins, une pièce artistique réside également dans les émotions et les concepts qui sont produits par notre intellect. Les uvres synthétisent ainsi des sortes d'univers virtuels dans nos esprits, mais ces expériences mentales ne sont généralement pas interactives. Avec l'approche des mondes virtuels, fondée sur l'utilisation des réseaux d'ordinateurs, une nouvelle forme d'expression artistique immersive et interactive est en train de naître. Les mondes virtuels représentent une perspective
fascinante à l'aube du troisième millénaire.
Ce domaine hérite des travaux effectués dans les sciences
de la complexité et plus spécifiquement de la vie artificielle
dont ils étendent les objectifs, au delà du biologique,
à toutes les échelles du monde physique. Ils soulèvent
également de nombreuses questions philosophiques sur la réalité
et notre place dans l'univers. A côté des travaux de
recherche et des développements technologiques, des débats
philosophiques et épistémologiques, des productions
artistiques, pourquoi une telle approche devrait-elle être soutenue
?
[1] Heudin, J.C., 1994, La Vie Artificielle, Editions
Hermès Sciences, Paris.
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