FEUILLES ET BONS MOTS |
Quand Jean-Jacques présentait son système de notation de la musique à l’Académie des Sciences… " J’arrivai à Paris dans l’automne de 1741, avec mon projet de musique. M. de Bèze me présenta à M. de Réaumur. Il lui parla de mon projet et du désir que j’avais de le soumettre à l’examen de l’Académie. Le 22 août 1742, j’eus l’honneur de lire à l’Académie le Mémoire que j’avais préparé pour cela. Les commissaires qu’on me donna étaient tous trois gens de mérite assurément, mais dont pas un ne savait la musique, assez du moins pour être en état de juger de mon projet. Durant mes conférences avec ces messieurs, je me convainquis, avec autant de certitude que de surprise, que, si quelquefois les savants ont moins de préjugés que les autres hommes, ils tiennent en revanche encore plus fortement à ceux qu’ils ont. Ils déterrèrent, je ne sais où, qu’un moine appelé le P. Souhaitti avait jadis imaginé de noter la gamme par chiffres. C’en fut assez pour prétendre que mon système n’était pas neuf. Mais ils ne s'en tinrent pas là ; et sitôt qu’ils voulurent parler du fond du système ils ne firent plus que déraisonner. Ces messieurs avaient ouï dire que la méthode d’exécuter par transposition ne valait rien : ils partirent de là pour tourner en invincible objection son avantage le plus marqué. Sur leur rapport, l’Académie m’accorda un certificat plein de très beaux compliments, à travers lesquels on démêlait, pour le fond, qu’elle ne jugeait mon système ni neuf ni utile… J’eus lieu de remarquer en cette occasion combien la connaissance unique, mais profonde, de la chose est préférable, pour en bien juger, à toutes les lumières que donne la culture des sciences, lorsqu’on n’y a pas joint l’étude particulière de celle dont il s’agit. La seule objection solide qu’il y eût à faire à mon système y fut faite par Rameau… Il n’y a qu’une grande pratique de l’art qui puisse la suggérer, et il n’est pas étonnant qu’elle ne soit venue à aucun académicien ; mais il l’est que tous ces savants, qui savent tant de choses, sachent si peu que chacun ne devrait juger que de son métier. " Jean-Jacques Rousseau : Confessions, Livre Septième |
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