FEUILLES ET BONS MOTS

Ceux qui pieusement...

SOCRATE-  En vérité, Ménexène, il semble qu’il y a beaucoup d’avantages à mourir à la guerre. On obtient en effet une belle et grandiose sépulture, si pauvre qu’on soit le jour de sa mort. En outre, on est loué, si peu de mérite que l’on ait, par de savants personnages, qui ne louent pas à l’aventure, mais qui ont préparé de longue main leurs discours. Ils ont une si belle manière de louer, en attribuant à chacun les qualités qu’il a et les qualités qu’il n’a pas, et en émaillant leur langage des mots des plus beaux, qu’ils ensorcellent nos âmes. Ils célèbrent la cité de toutes les manières et font de ceux qui sont morts à la guerre et de toute la lignée des ancêtres qui nous ont précédés et de nous-mêmes, qui sommes encore vivants un tel éloge que moi qui te parle, Ménexène, je me sens tout à fait grandi par leurs louanges et que chaque fois je reste là, attentif et charmé, persuadé que je suis devenu tout d’un coup plus grand, plus généreux, plus beau. De plus, comme c’est l’habitude, je suis toujours accompagné d’étrangers qui écoutent avec moi, aux yeux de qui je deviens à l’instant plus respectable. Et, en effet, ces étrangers paraissent impressionnés comme moi et à mon égard et à l’égard de la cité, qu’ils jugent plus admirable qu’auparavant, tant l’orateur est persuasif. Pour moi, cette haute idée que j’ai de ma personne dure au moins trois jours. La parole et la voix de l’orateur, pénétrant dans mes oreilles, y résonne si fort que c’est à peine si le quatrième ou le cinquième jour je me reconnais et me rends compte en quel endroit de la terre je me trouve. Jusque-là, je ne suis pas loin de croire que j’habite les îles des Bienheureux, tant nos orateurs sont habiles.

Lien : Site consacré à Platon

Retour | Début de page