1957- 1964 LES ANNEES D'APPRENTISSAGE |
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1957-1960 Au CERP avec Jean-Marie Faverge |
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Au printemps 1957,
libéré de mes obligations militaires et mon diplôme
d'ingénieur civil des mines en poche (cf. Curriculum vitae), je me mis en
quête d'un emploi susceptible de concilier ma formation
scientifique et mon amour des lettres. Je rencontrai
Jean-Marie Faverge, mathématicien de métier, auteur du
manuel de référence de statistique en
psychologie ("le Faverge"). J.M. Faverge me proposa de venir
travailler dans son équipe au Centre d'Etudes et Rechehrce
Psychotechniques (CERP). Par delà une finalité
professionnelle claire (valider des tests en vue d'une formation
professionnelle accélérée), j'ai trouvé
au CERP un microcosme de la recherche en psychologie avec
ses multiples facettes: psychologie du travail (Jacques Leplat),
sociale (Serge Moscovici, Werner Ackermann), clinique (Anne
Ancelin-Schützenberger), avec une ouverture sur toutes les
branches de la psychologie scientifique: psychologie
différentielle (Maurice Reuchlin), expérimentale (Paul Fraisse).
Jean-Marie Faverge non seulement m'a ouvert la porte du
monde des sciences humaines, mais il m'a fait
découvrir qu'avec ma formation et mes motivations, je
pouvais me rendre utile dans ce monde-là. Promu
statisticien-conseiller des chercheurs en psychologie, je
réactivai les notions acquises aux Mines avec M. Allais et
G. Darmois, puis je me mis en devoir de m'instruire
systématiquement, guidé par le meilleur des
maîtres, sur toutes les méthodes statistiques,
éprouvées ou prometteuses, de la régression
multiple à l'analyse factorielle. J'avais trouvé ma
voie: l'analyse statistique des données en sciences
humaines, avec une dynamique de recherche qui ne s'est jamais
démentie.
Dans les milieux des grandes Ecoles, "faire dans les Sciences
humaines" était à
l'époque une activité peu répandue
(cela a changé) et peu valorisée (cela
n'a guère changé). En me lançant dans cette voie,
je pressentais l'ampleur que les applications des
mathématiques allaient prendre dans les décennies
suivantes (compte tenu des progrès du calcul automatique);
sans pouvoir imaginer les effets pervers à
venir de la division du travail et de
l'hyperspécialisation. Quoi qu'il en soit, les
leçons de cette première formation ont été
décisives: 1) Statistique des chercheurs.La
statistique est une discipline auxiliaire des Sciences Humaines; les
travaux mathématiques doivent être guidées par
les besoins des chercheurs. 2) Unité de la statistique.
Il n'y a pas une statistique en psychologie, une
statistique en sociologie, etc. Mais il faut distinguer données
expérimentales et données
d'observation.
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1960-1962 A Stanford avec Patrick Suppes |
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Au colloque CNRS de 1960 sur La
Décision , je rencontrai Patrick Suppes,
logicien spécialiste de l'axiomatisation (de la physique
quantique à la "measurement theory" en sciences humaines), et de
l'enseignement des mathématiques. P. Suppes me proposa de
venir travailler avec lui à Stanford, au Center for Mathematical Studies in Social Sciences
(CMSSS). Le CMSSS était aussi (dans un autre style) un
haut lieu de pluridisciplinarité. Aux
séminaires de Mathematical Psychology, j'ai
rencontré toutes les personnes qui comptaient aux Etats-Unis dans le
domaine des mathématiques en sciences humaines: C. Coombs,
D. Luce, W. Estes, R. Shepard... A Ventura Hall, chez Suppes,
j'ai pratiqué les modèles stochastiques (les
ancêtres des actuels modèles neuronaux de
l'intelligence artificielle), à la fois du point de vue
mathématique et expérimental. Parallèlement, au
bâtiment voisin (Sequoia Hall), je parachevais ma
formation en statistique mathématique.
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1962-1964 A la croisée des chemins |
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Je pouvais envisager une carrière soit aux
Etats-Unis soit en France (les Bell Laboratories ou la Sorbonne?). La
France était alors le lieu d'un bouillonnement de
créativité. C'était la haute époque du
structuralisme, et aussi du grand espoir des mathématiques
modernes (la modélisation des structures de parenté de
Lévi-Strauss, etc.), avec la Maison des Sciences de
l'Homme en construction, etc. Je suivais
assidûment les
séminaires de G-Th. Guilbaud, au Centre de
Mathématiques Sociales, pour qui
mathématiser signifiait formaliser plutôt que
quantifier. Par l'intermédiaire de Jean-François Richard,
je rencontrai Jean-Paul Benzécri, en train de fonder
une branche de la statistique qui m'émerveilla: cf. ma rencontre avec Benzécri et l'Analyse des Données.
Tout ce bouillonnement promettait, du moins je me plaisais
à l'espérer, de fameux débats. J'étais bien
conscient de la domination scientifique américaine; mais
j'imaginais qu'il y avait encore place pour des courants
qui ne seraient pas les simples reflets de courants
américains; notamment en psychologie, où la haute figure
de Piaget faisait illusion sur l'autonomie scientifique
réelle de la psychologie européenne.
Je choisis la
France. Je fixai ma stratégie de recherche: psychologie et
données expérimentales d'abord, sciences sociales
et données d'observation ensuite. Je préparai
une thèse qui plaçait mes travaux dans le cadre des théories
psychologiques de l'apprentissage, sous la direction de Paul
Fraisse, Professeur de Psychologie à la Sorbonne, qui en 1965 me fit entrer au CNRS dans son
Laboratoire de Psychologie Expérimentale (rue Serpente), et me chargea de préparer le Colloque International du CNRS sur les Modèles et la formalisation du comportement.
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1965-1997 LES ANNEES CNRS |
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Chercheur CNRS, relevant de la
Commission de Psychologie (donc des Sciences de la Vie, à
l'exclusion des Sciences sociales), très tôt promu aux
grades élevés, j'ai pu oeuvrer en toute
quiétude à mon entreprise, en commençant par le
premier volet (données expérimentales). J'ai ainsi pu
développer mes idées-forces
(formelle, géométrique, descriptive,
spécifique) et les mettre en oeuvre en analyse de variance, puis me tourner vers l' inférence bayésienne. Dans cette entreprise de longue haleine, j'ai toujours eu autour de moi
un "petit noyau", équipe au moins informelle, avec des
partenaires de travail magnifiques. Werner Ackermann, ami fidèle
cher entre tous, hélas disparu en 2005, a suivi mon parcours de
bout en bout, depuis les modèles stochastiques des années
1960 jusqu'aux régressions des années
2000. Jean-François Richard a été mon
compagnon de route de la période stochastique. Dominique
Lépine, hélas disparu en 1990, a été
l'inoubliable partenaire des travaux sur l'analyse de la
variance. Jean-Michel Hoc a donné une excellente
présentation de ces travaux dans son ouvrage L'analyse des données planifiées aux PUF.
Je passe bien entendu sous silence les personnes qui ont
démarqué mes travaux en vue de fins qui m'étaient
étrangères.
Le "Groupe Mathématiques et Psychologie" ("Math & Psy"),
créé en 1981 en tant que formation individualisée
au sein de l'UFR de Mathématiques de Paris 5, dirigée par M.
Barbut, puis équipe CNRS de 1986 à 1995, a permis
de donner un cadre plus stable à l'entreprise. Voir Textes & Publications, avec Thèses marquantes,
et tous les travaux menés avec Bruno Lecoutre, Jean-Marc
Bernard, Brigitte Le Roux, avec le concours zélé de
Philippe Bonnet, ingénieur au CNRS, et de Marie-Claude Bert, enseignante à l'UFR de Mathématiques ...
Dans la communauté des chercheurs français,
j'ai eu des soutiens constants, et, dans le monde
anglo-saxon, de véritables "supporters": outre Patrick
Suppes, mon vieux maître de Stanford, mon ami Jonckheere,
de l'University College de Londres; grâce à lui,
j'ai pu présenter mes principaux travaux aux
séminaires des deux départements prestigieux de cette
université: celui de psychologie et celui de
mathématiques.
Cela dit,
les chercheurs en psychologie du CNRS, dans leur
ensemble, ont-ils perçu le sens de cette entreprise de
longue
haleine?
La lettre de la Commission en
date de 1991 n'a pas vu que les instruments informatiques que nous
élaborions étaient fondés sur des conceptions
théoriques originales, visant à mieux adapter les
analyses statistiques aux besoins des chercheurs; alors
même que notre programme VAR3, entre autres,
était
abondamment utilisé par les chercheurs.
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DEPUIS 1998 |
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Mis
d'office à la retraite par la bureaucratie du
CNRS, et les
membres du "Groupe Math & Psy" relevant
de la
Commission de psychologie une fois dispersés, j'ai pu,
grâce
à l'obligeance de mes collègues de
l'UFR de Mathématiques et Informatique de Paris
5, rester attaché à cette UFR
au titre de chercheur invité du Centre de Recherche Infromatique de Paris 5 (CRIP5). Désormais
libéré de mes obligations vis-à-vis de
la
section de Psychologie du CNRS, j'ai
pu, en collaboration avec Brigitte Le Roux
demeurée à l'UFR de
Mathématiques en tant
qu'enseignant-chercheur, me consacrer à fond au
deuxième
volet de mon
entreprise: la statistique en
sciences sociales. Nous nous
sommes
tournés vers Pierre Bourdieu: une connivence de
longue date, à l'autonomie
scientifique
incontestable, et plus ouvert que jamais aux innovations
méthodologiques. La conférence
de Cologne (1998) "Empirical Investigation of Social Space" a marqué le
début d'une intense
collaboration avec Bourdieu et ses proches. Dans les
années 1999-2001, c'est notre participation
à la recherche de Bourdieu (1999) sur l'"Espace des Editeurs"; c'est un séminaire au
Collège de
France (de 1999 à 2002) sur l'Analyse des Données; avec la mise en
chantier
d'un numéro spécial des Actes de la recherche sur
ce thème.
La disparition de Bourdieu en 2002, si
elle a
hélas mis fin à une relation
personnelle
exceptionnelle, n'a pas affecté la poursuite de nos travaux,
au
contraire. L'intérêt international
croissant pour
les aspects empiriques de l'oeuvre de Bourdieu aidant,
Brigitte
Le Roux et moi-même nous travaillons avec
des proches de Bourdieu, en
France (Frédéric Lebaron)
et en
Scandinavie, mais aussi avec des chercheurs voulant analyser
leurs données par "les méthodes
de Bourdieu", comme Mike Savage et ses collègues de
Manchester
qui étudient les styles de vie de la
société
britannique. Nous participons aussi régulièrement
au groupe
MAGDA organisé par Jean Chiche et Brigitte Le Roux, dans
le cadre du Centre d'Etude
de la Vie Politique Française (CeViPof, dir.
Pascal
Perrineau).
Evoquons deux études typiques de ces
collaborations récentes: l'article sur l' espace politique
français, publié dans le Journal de Science Politique, et le champ du pouvoir
norvégien, publié dans la revue European Societies. Voir
Activités
récentes.
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Colloque CNRS de 1965 sur les modèles
lettre de la Commission
Conférence de Cologne, 1998