La Līlāvatī
Dans sa préface à la traduction de cette partie de l'œuvre de
Bhāskara en persan qu'il a faite à la demande de l'empereur Moghol
Akbar en 1587, Abū al Fayḍ Fayḍī raconte que Bhāskara avait une fille
nommée Līlāvatī et que des présages avaient annoncé qu'elle ferait un
mariage malheureux. Son père, astrologue, fixa néanmoins une époque
favorable pour son mariage et, le jour de celui-ci, installa une
horloge hydraulique pour déterminer le moment le plus propice.
Intéressée par l'objet, la jeune fille se pencha sur la cuve et une
perle de sa parure tomba dedans, obstruant le trou par lequel l'eau
s'écoulait. La mesure du temps fut faussée et le mariage fut
malheureux : Līlāvatī perdit son mari. Pour la consoler de son
veuvage, Bhāskara écrivit pour elle son traité de mathématiques et lui
donna son nom pour titre.
On dit...
Ce traité d'arithmétique — comme on appelait, au
xxe siècle, les traités de calculs élémentaires utiles à la
vie quotidienne — est le plus célèbre de la littérature
mathématique indienne. Il porte un nom que l'on donne encore aux
jeunes filles en Inde : « la
gracieuse ».
Comme toutes les œuvres à contenu didactique de la tradition
indienne — mathématique, astronomique, philosophique,
religieuse ou autre... — elle est écrite en vers. De
courtes strophes de quatre vers (pāda)
— 277 —, destinées à être apprises par cœur, où
alternent des règles et des exercices d'application immédiate.
Les contraintes de la métrique et le goût prononcé des
paṇḍits (lettrés) indiens pour la concision extrême font que,
toujours selon la tradition indienne, elle a fait l'objet de nombreux
commentaires au
cours des siècles qui ont suivi sa composition. Véritables cours de
mathématiques, ces commentaires nous permettent de comprendre les
règles et de résoudre les exercices proposés et aussi de suivre les
progrès d'une notion ou des méthodes de calculs à travers les
siècles : un commentateur du xve n'expliquera pas une
règle ou ne traitera pas un exercice de la même manière qu'un
commentateur du xviie siècle.
Contenu
Les notions exposées ressemblent énormément aux programmes proposés
dans les écoles normales, jusque dans les années 1930, pour la
formation des maîtres de l'enseignement primaire en France.
Voici la succession des chapitres :
- Paribhāṣā. Conventions. Différentes mesures de monnaies,
longueurs, surfaces, volumes et poids.
- Saṃkhyāsthānanirṇaya. Numération.
- Parikarmāṣṭaka. Opérations sur les nombres :
addition, soustraction, multiplication, division, carré, racine
carrée, cube et racine cubique.
- Bhinnaparikarmāṣṭaka. Opérations sur les fractions.
- Śūnyaparikarmāṇi. Opérations avec zéro.
- Vyastavidhi. Règle d'inversion : comment retrouver le nombre
initial quand on connaît le résultat et la suite des opérations qui
a conduit à ce résultat.
- Iṣṭakarmāṇi. Règle de supposition :
autre procédé pour trouver la solution d'une équation mais, cette
fois-ci, on effectue les calculs en choisissant (iṣṭa) un
nombre arbitraire pour faire les calculs et on conclut à l'aide d'une
règle de trois.
- Saṃkramaṇa et Viṣamakarma. Trouver
deux nombres dont on connaît la somme et la différence et trouver deux
nombres dont on connaît la somme ou la différence et la différence de
leurs carrés.
- Vargakarma et Mūlaguṇaka.
Diverses règles mettant en jeu des carrés (varga) ou des
racines (mūla) de nombres comme trouver deux quantités dont
la somme ou la différence des carrés, diminuée de un, donnera un
carré.
- Trairāśika. Règle de trois.
- Bhāṇḍapratibhāṇḍaka. Troc (marchandise pour
marchandise). Combinaisons de plusieurs règles de trois :
« si trois cents mangues valent une drachme et trente
grenades, un paṇa, dis-moi rapidement, mon ami, combien on en
obtient pour dix mangues. »
- Miśravyavahāra. Transactions des mélanges. Règles
permettant de calculer des intérêts, des prix d'alliages de métaux
précieux... d'où le nom.
- Śreḍhivyavahāra. Progressions arithmétiques et
géométriques.
- Kṣetravyavahāra. Problèmes de calculs sur la géométrie des
figures planes.
- Khātavyavahāra. Excavations. Il s'agit, par exemple, de
calculer des volumes de réservoirs creusés en forme de tronc de
pyramides.
- Citivyavahāra. Calculs de volumes de piles (citi),
construites sur des bases planes de formes diverses.
- Krakacavyavahāra. La scie. Calculs de volumes obtenus par
sciage de troncs d'arbres.
- Rāśivyavahāra. Volumes de tas de grains.
- chāyāvyavahāra. Calculs relatifs à l'ombre (chāyā)
d'un gnomon.
- Kuṭṭaka. Le pulvérisateur. Recherche des solutions des
équations diophantiennes du premier degré.
- Aṅkapāśa. Calculs d'arrangements, combinaisons et
permutations.